Ruth Kedar, la designer brésilienne responsable du logo original de Google, est une figure remarquable à l’intersection de l’art, du design et de la technologie. Née à Campinas en 1955, Kedar a émigré en Israël alors qu’elle était adolescente avant de s’installer aux États-Unis, où sa carrière a pris une tournure inattendue. Diplômée en architecture de l’Institut israélien de technologie et titulaire d’une maîtrise en beaux-arts de l’Université de Stanford, elle a exploré les frontières du design graphique, aboutissant à un projet qui allait changer sa vie et l’identité visuelle de l’une des plus grandes entreprises technologiques. dans le monde.
Au cours de ses études à Stanford, Kedar a été pionnière dans l’utilisation des technologies émergentes, ce qui lui a valu d’être embauchée par Adobe Systems. Son travail sur Adobe Deck, un jeu promotionnel pour Adobe Illustrator, s’est distingué par l’innovation et l’adaptabilité du logiciel, aidant à surmonter le scepticisme initial des concepteurs quant à la perte d’originalité de leur travail. Ce projet a non seulement établi son nom dans le domaine du design graphique, mais a également ouvert la voie à de futurs projets.
À la fin des années 1990, alors qu’il enseignait à l’Université de Stanford, Kedar a été approché par Larry Page et Sergey Brin, qui étaient alors en train de fonder Google. Ils avaient besoin d’un logo qui transmette la vision unique et créative de l’entreprise, les distinguant des autres moteurs de recherche. Avec un design alliant simplicité et touche ludique, Kedar a non seulement répondu à cette demande, mais a également créé une icône culturelle qui reste pertinente à l’ère numérique.
Ruth, tu as déménagé en Israël à la veille de ton 16e anniversaire. Quel impact ce changement a-t-il eu sur votre vie et votre carrière dans le design ?
Mes projets pour mon 16e anniversaire ont pris une tournure dramatique lorsque la prestigieuse offre d’emploi de mon père à l’université de Tel Aviv est apparue sur la table. Laisser derrière moi mes amis, ma famille, tout ce qui me était familier et mes rêves ne faisait pas vraiment partie de mes projets. (C’est le moins qu’on puisse dire !) Une nouvelle langue avec un alphabet inconnu, une culture pleine de coutumes que je ne comprenais pas – tout cela ressemblait à un énorme désastre et, pire encore, je n’avais aucun contrôle sur cela.
Mais en arrivant, j’avais le choix : rester dans la communauté des expatriés brésiliens ou m’immerger dans la nouvelle culture. J’ai choisi cette dernière solution, en privilégiant la maîtrise de l’hébreu, qui me paraissait la clé pour m’exprimer et poursuivre mes rêves.
Cependant, naviguer au lycée sans aucune connaissance préalable de l’hébreu n’était pas facile, et la maîtrise ne s’est pas faite du jour au lendemain. Me sentant isolé, j’ai commencé à relire certains de mes livres préférés dans leurs langues originales – espagnol, français et anglais. Même si je ne parlais couramment aucun d’entre eux, les histoires et l’alphabet familiers constituaient une base pour la compréhension. Chaque langue était comme une nouvelle lentille, révélant des façons fascinantes de manifester les idées.
Étonnamment, cette pratique a non seulement amélioré ma maîtrise de ces langues, mais a également accéléré de manière inattendue mon apprentissage de l’hébreu. Et, alimenté par un désir ardent d’atteindre mes objectifs et par une pure détermination, j’ai réussi à obtenir mon diplôme d’études secondaires et à obtenir une place convoitée dans le prestigieux programme d’architecture du Technion.
Je n’aurais jamais imaginé que vivre dans une nouvelle culture m’ouvrirait les yeux sur une nouvelle perspective sur la vie, les modes d’expression et les façons de se déplacer dans le monde, et que cette expérience me transformerait en un observateur attentif, suscitant une profonde curiosité, surtout autour de moi. . Cela m’a mis au défi de faire preuve d’ouverture et de me libérer de schémas de pensée limités.
Rétrospectivement, ces premières luttes sont devenues des étapes inestimables. La capacité « d’écouter » avec tous mes sens, l’ouverture à de nouvelles expériences, ce sont des atouts que j’ai acquis au fil du temps et qui continuent d’enrichir et d’informer ma vie personnelle et professionnelle.
Bien que vous ayez passé une grande partie de votre vie hors du Brésil, vous êtes né à Campinas, São Paulo, et avez fini par connaître un grand succès aux États-Unis. Quels sont vos meilleurs conseils pour les jeunes qui rêvent eux aussi de faire carrière et d’avoir un avenir à l’étranger ?
J’ai appris que construire une vie à l’étranger transcende la simple maîtrise de la langue. Il s’agit de plonger tête première au cœur d’une nouvelle culture – de comprendre ses habitants, leurs modes de pensée uniques et les rythmes tacites d’interaction. Il s’agit d’apprendre à naviguer dans un monde complètement nouveau sans perdre de vue ses propres racines ni sacrifier son identité. Soyez ouvert et curieux de ce que la nouvelle culture offre, acceptez les ajustements inévitables et, surtout, établissez des relations. L’intégration sociale est cruciale dans un nouvel environnement.
Quant à bâtir une carrière, il existe de nombreuses options, mais si vous pouvez et êtes prêt à investir à long terme, envisagez de vous inscrire à un programme scolaire. Peu importe où vous en êtes dans votre carrière, il existe toujours un terrain fertile pour évoluer. Que ce soit dans votre domaine, en explorant des domaines connexes ou même en faisant un saut complet dans une nouvelle direction, la vie scolaire offre un environnement unique. C’est l’occasion d’approfondir vos connaissances, de vous plonger dans le domaine de votre choix et d’élargir vos compétences et votre expertise. C’est également une rampe de lancement pour bâtir votre réseau – en vous connectant avec des personnes partageant les mêmes idées et partageant vos passions et vos aspirations. Et en prime, vous pouvez profiter de ce temps pour réévaluer votre parcours professionnel et explorer des pistes imprévues.
N’oubliez pas qu’il ne s’agit pas d’une formule magique pour garantir une réussite professionnelle. Cependant, c’est un chemin sûr vers la croissance personnelle, des expériences enrichissantes et une vie pleine de potentiel.
Au Technion, vous êtes diplômé en architecture. Qu’est-ce qui a motivé votre transition de l’architecture au design graphique ?
Bien que ma formation au Technion se soit concentrée sur l’architecture, je me suis retrouvé de plus en plus attiré par le monde du design, en particulier par le domaine émergent du graphisme architectural. Contrairement à aujourd’hui, les concepts d’expérience utilisateur ne faisaient partie d’aucun programme. Les architectes visaient certes des espaces utilisables, mais l’accessibilité des bâtiments publics laissait souvent à désirer. Imaginez-vous naviguer dans un aéroport, un centre commercial ou un hôpital sans signalisation claire indiquant les toilettes, les portes d’embarquement ou les cabinets médicaux.
Ce manque de concentration a déclenché une passion en moi. Inspiré par un livre de Graphics Press sur le graphisme architectural (« Archigraphia »), j’ai imaginé créer des langages visuels traduisant des plans architecturaux en espaces réellement utilisables. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai recherché des cabinets d’architecture et de design graphique en Israël, désireux de combler le fossé entre les deux disciplines. Malheureusement, ma vision n’était pas facilement comprise à l’époque.
Déçu mais pas découragé, j’ai obtenu un rendez-vous avec un grand entrepreneur privé connu pour développer de grands projets publics. Armé de pure passion et de mon exemplaire d’Archigraphia, je l’ai convaincu de me donner une chance, malgré mon manque d’expérience. Cela a abouti à un projet pilote qui est devenu le tremplin pour lancer mon propre studio – Total Design (le nom étant peut-être un peu présomptueux avec le recul !).
Au cours des cinq années suivantes, j’ai perfectionné mes compétences en créant des systèmes graphiques architecturaux pour un large éventail de projets : aéroports, centres commerciaux, centres de congrès et grands développements résidentiels. Étant autodidacte et guidé par mon intuition, j’aspirais de plus en plus à une formation formelle en design. Cette prise de conscience m’a amené à poursuivre une maîtrise en design.
La nature interdisciplinaire unique du programme commun de Stanford entre les départements d’art et d’ingénierie m’a particulièrement séduit. Il offrait l’environnement idéal pour approfondir le design de manière holistique, en adoptant des principes à la fois esthétiques et utilitaires pour résoudre des problèmes complexes.
Son projet de maîtrise à Stanford consistait à créer un jeu de cartes. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette expérience et comment elle a influencé votre carrière ?
Les cartes à jouer m’ont toujours fasciné. Il s’agit d’un produit unique avec un million d’utilisations, apprécié par des personnes de tous âges et de tous horizons. Imaginez une partie autour de la table de la cuisine, une soirée de poker à enjeux élevés ou même une séance de divination avec un jeu de cartes : les possibilités sont infinies !
Cette fascination, ainsi que l’opportunité unique de consacrer une année entière à un seul sujet, ont alimenté ma plongée profonde dans la riche histoire et l’évolution de la conception des cartes à jouer à travers les cultures. Ce fut une expérience enrichissante, qui m’a poussé à explorer et expérimenter différents concepts de design. Ce voyage a abouti à la création de trois jeux de cartes innovants, témoignage de la puissance de l’exploration du design.
Une grande partie de mon exploration s’est déroulée sur un Macintosh original connecté à une imprimante matricielle. J’ai pu le pirater pour imprimer des couleurs et créer des graphiques qui repoussaient les limites de ce qu’il pouvait faire. Mon engagement à repousser les limites a attiré l’attention d’un professeur familier avec le langage PostScript alors innovant d’Adobe. C’est lui qui m’a mis en contact avec Adobe.
Là-bas, j’ai rencontré Russell Brown, un directeur créatif. Il était confronté à un dilemme intéressant : les concepteurs eux-mêmes craignaient qu’Adobe Illustrator, un nouveau logiciel révolutionnaire conçu spécialement pour eux, puisse conduire à des styles de conception homogénéisés.
Cette préoccupation a donné naissance à l’idée du projet Adobe Deck. Alors qu’Illustrator était sur le point d’être lancé au salon Comdex à Las Vegas, on m’a d’abord demandé de concevoir moi-même l’intégralité du jeu de cartes. Cependant, j’ai vu une opportunité de mieux mettre en valeur la puissance d’Illustrator. J’ai proposé un jeu collaboratif : quatre designers, chacun avec un style distinct, se verraient attribuer une suite de cartes différente. Cette approche démontrerait la capacité d’Illustrator à répondre à diverses visions et styles créatifs.
Le projet a été un grand succès. Adobe Deck, avec ses designs de combinaisons visuellement époustouflants et diversifiés, a non seulement favorisé l’innovation en matière de conception et révolutionné le secteur, mais il m’a également ouvert les portes d’Adobe. Mon implication a commencé par la conception de manuels pour un nouveau logiciel, Adobe Photoshop. Finalement, mes compétences en conception et mon approche innovante m’ont conduit à un poste de directeur artistique chez Adobe, où ma carrière de designer a vraiment décollé.
Vous avez travaillé sur le projet Adobe Deck pour promouvoir Adobe Illustrator. Quels ont été les principaux défis et enseignements tirés de ce projet ?
Nous avons dû devenir experts du jour au lendemain non seulement pour profiter de tous ses outils, mais aussi pour visualiser les couleurs, les dégradés et les calques basés uniquement sur notre imagination. Imaginez travailler avec Adobe Illustrator alors que vous n’avez que des lignes à l’écran, bien loin de l’interface (beaucoup plus) intuitive d’Illustrator d’aujourd’hui. Les prédictions non modifiables et les logiciels bogués ont nécessité beaucoup de temps d’essais et d’erreurs. Sans parler des séparations de couleurs et des préparations prépresse, que nous avons également dû apprendre et réaliser nous-mêmes.
Cette immersion totale dans le processus de conception a été une véritable épreuve de patience et de persévérance. J’ai appris à faire confiance à mon instinct, à expérimenter sans crainte et à trouver des solutions créatives aux problèmes techniques qui se présentaient. Chaque carte que nous avons créée était une petite victoire, un témoignage de la puissance de la conception numérique et de l’innovation.
De plus, le projet Adobe Deck m’a appris l’importance de la collaboration. Travailler avec d’autres designers talentueux m’a montré comment différentes perspectives peuvent se réunir pour créer quelque chose de vraiment unique. Ce fut une leçon précieuse que j’ai portée avec moi tout au long de ma carrière, en valorisant toujours le travail d’équipe et l’échange d’idées.
Le logo Google est l’une de ses œuvres les plus connues. Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de conception de ce logo emblématique ?
Concevoir le logo Google a été une expérience incroyablement stimulante et enrichissante. Lorsqu’on m’a demandé de créer l’identité visuelle d’une entreprise technologique relativement petite à l’époque, je savais que je devais capturer l’essence de l’innovation, de la simplicité et de l’accessibilité que représentait Google.
Le processus a commencé par des recherches approfondies sur l’entreprise, son public et la vision des fondateurs, Larry Page et Sergey Brin. Le défi était de créer quelque chose à la fois intemporel et dynamique, capable d’évoluer avec l’entreprise au fur et à mesure de sa croissance.
J’ai parcouru de nombreuses itérations, explorant différentes typographies, couleurs et formes. L’une des principales orientations était de garder le logo simple et lisible, mais avec une touche de personnalité. Les couleurs primaires, combinées de manière à dépasser les attentes, représentaient l’approche non conventionnelle de Google. Le choix d’une typographie serif a donné un sentiment de fiabilité et de stabilité.
Tout au long du processus, la collaboration avec l’équipe Google a été cruciale. Ils étaient très ouverts au dialogue et disposés à explorer différentes possibilités, ce qui a permis une création véritablement collaborative et réussie. Le résultat final a été un logo qui est non seulement devenu emblématique, mais qui a également évolué au fil du temps tout en conservant son essence originale.
Cette expérience a renforcé ma conviction dans l’importance de la recherche, de l’itération et de la collaboration dans la conception. Chaque détail, aussi petit soit-il, contribue à l’impact global d’une identité visuelle, et le travail sur le logo de Google en est un parfait exemple.
En tant que professeur à l’Université de Stanford, qu’est-ce qui vous a le plus plu dans l’enseignement à vos étudiants ?
Enseigner à l’Université de Stanford a été une expérience incroyablement enrichissante. Ce que j’ai le plus aimé transmettre à mes étudiants, c’est l’importance de la créativité et de l’innovation dans le design. Je voulais qu’ils comprennent que le design n’est pas seulement une question d’esthétique, mais aussi de résoudre des problèmes et d’améliorer la vie des gens.
J’ai encouragé mes étudiants à sortir des sentiers battus, à expérimenter sans craindre de commettre des erreurs et à adopter l’intersection entre la technologie et le design. J’ai également souligné l’importance de la recherche et d’une compréhension approfondie du public cible dans chaque projet.
Voir mes élèves grandir et développer leur propre voix en tant que designers a été l’une des plus grandes récompenses de mon temps en tant qu’enseignant. Beaucoup d’entre eux ont mené des carrières impressionnantes et continuent d’innover et de contribuer au domaine du design, ce qui me rend fier.
Vous êtes également connu pour vos créations de jeux de cartes primées. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces projets et ce qu’ils représentent pour vous ?
Mes projets de jeux de cartes ont été l’un des efforts les plus amusants et créatifs de ma carrière. Tout a commencé comme un projet personnel lors de mon master à Stanford, où j’ai créé un deck intitulé « Sticks and Stones ». Ce jeu combinait des éléments de conception graphique avec la fonctionnalité ludique des cartes, aboutissant à un produit qui était à la fois une œuvre d’art et un objet utilitaire.
Le succès de ce premier projet m’a incité à continuer d’explorer la conception de terrasses. Chaque nouveau deck que j’ai créé était l’occasion d’expérimenter différents styles artistiques, typographies et techniques d’impression. Ces projets m’ont permis d’exprimer ma créativité d’une manière que d’autres emplois ne me permettaient pas, et je me sentais toujours libre d’enfreindre les règles et d’explorer de nouvelles idées.
Pour moi, les jeux de cartes représentent l’intersection parfaite entre l’art et le design. Ce sont de petits objets que les gens peuvent tenir, collectionner et utiliser dans leur vie quotidienne, alliant beauté et fonctionnalité. De plus, obtenir la reconnaissance de ces projets dans des concours et des festivals a été une merveilleuse validation de mon travail et une motivation pour continuer à créer.
Quel est votre processus créatif et comment surmontez-vous les défis liés à l’expression d’idées complexes à travers le design ?
Mon processus créatif commence toujours par la recherche et la compréhension approfondie du problème que j’essaie de résoudre. Je passe beaucoup de temps à explorer le contexte, le public cible et les limites du projet. Cela m’aide à formuler un brief clair et à établir des objectifs de conception.
À partir de là, je passe à la phase de brainstorming et de génération d’idées. J’essaie d’explorer autant de directions que possible sans me soucier de la faisabilité initiale. Cette phase consiste à libérer la créativité et à considérer toutes les possibilités.
Une fois que j’ai un ensemble d’idées, je commence à les affiner et à tester les meilleures options. Cela implique beaucoup d’itérations, de commentaires des pairs et d’expérimentation de différentes approches. Le plus difficile est souvent de simplifier l’idée jusqu’à son essence, en garantissant que le message soit clair et percutant.
Pour surmonter les défis, je m’appuie fortement sur les commentaires et la collaboration. Partager mon travail avec d’autres et obtenir leurs avis m’aide à voir les angles morts et à améliorer la conception. De plus, une pratique constante et la volonté d’apprendre de ses erreurs sont essentielles pour continuer à évoluer en tant que designer.
En fin de compte, mon objectif est toujours de créer quelque chose qui non seulement résout le problème, mais qui résonne également émotionnellement auprès du public. Je crois que le design le plus efficace est celui qui allie fonctionnalité et beauté, offrant une expérience mémorable et significative.
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